La guerre monétaire expliquée
Une interview de Jacques Myard, très intéressante. C'ets pourquoi je la reproduis sur mon blogue !
Bourse Plus, 19 novembre 2010 :
La guerre monétaire expliquée par le président du Cercle Nation et République
La guerre monétaire expliquée par le président du Cercle Nation et République
Jacques Myard, député UMP des Yvelines : «Nous sommes visiblement entrés dans une période d'instabilité monétaire qui s'apparente véritablement à une guerre monétaire.»
Jacques Myard est député UMP des Yvelines, maire de Maisons-Laffitte et président du Cercle Nation et République. Ce gaulliste convaincu martèle depuis dix ans que l’euro ne tiendra pas. La guerre monétaire mondiale renforce ses certitudes et ses inquiétudes. Il nous explique, après le G20 qui a traité de cette question, pourquoi il estime que l’euro ne peut plus résister…
L’Hebdo-Bourseplus : La guerre monétaire est déclarée et ce sujet était d'ailleurs au centre des débats lors du dernier G20. C'est un thème que vous connaissez bien : comment résumeriez-vous cette situation pour nos lecteurs ?
Jacques Myard : Depuis un certain temps, nous sommes sortis d'un système de change ajustable, les monnaies flottent, mais elles ne flottent pas toutes de la même manière. Il y en a même une, le Yuan, qui est une monnaie administrée un peu comme au temps du troisième Reich où il y avait une monnaie convertible pour l'extérieur et une monnaie intérieure. C'est une monnaie complètement administrée par le gouvernement chinois et elle est sous-évaluée volontairement. On a laissé entrer la Chine dans l’OMC et les termes de l'échange sont en sa faveur. Cette différence monétaire lui procure un avantage concurrentiel très fort. Donc, la Chine est devenue l'usine du monde, même si tous les produits ne sont pas fabriqués en Chine. Par exemple, certains mobiles proviennent de différentes productions dans le monde, mais ils sont assemblés en Chine où ils rapportent des devises.
En revanche, la Chine a accumulé des réserves très importantes qui s'élèvent à plusieurs billions de dollars et elle a donc une masse monétaire. Donc, on voit bien que c'est une économie asymétrique qui exporte vers des pays européens et qui accumule des devises qui lui permettent d'acheter des terres en Afrique, ou même la concession du Pirée en Grèce : la Chine vient d'acheter la concession du port du Pirée afin de l'exploiter pendant 30 ans !
Cette situation n'est pas acceptable. Face à cela, les Américains contre-attaquent en injectant de la monnaie et en faisant des avances de Banque centrale pour relancer leur économie, ce qui aboutit bien sûr à faire baisser le dollar et donc à augmenter la valeur de l'euro.
Donc, la montée de l'euro étrangle l'économie française et surtout des économies comme l'Irlande, la Grèce ou le Portugal. Nous avons un problème qui porte sur la stabilité de l'euro, mais aussi un problème d'ajustement mondial avec certains avantages qui ne peuvent pas durer.
Donc, nous sommes visiblement entrés dans une période d'instabilité monétaire qui s'apparente véritablement à une guerre monétaire. La Chine ne peut pas continuer à accumuler des devises, car les autres vont réagir en mettant des droits de douane sur des produits importés de Chine. Cette idée se heurte à un certain nombre de lobbys des grandes sociétés multinationales qui ont investi en Chine et qui veulent exporter en Europe. Mais l'issue est tout-à-fait certaine : à un moment ou à un autre, les Etats européens vont dire que cela suffit.
Il est évident que les Chinois ne vont pas accepter cela…
Oui, car la Chine a en plus un problème interne. Comme les Chinois se sont lancés dans une économie d'exportation, ils ne peuvent pas ralentir du jour au lendemain ce dynamisme sans créer des problèmes internes. Il faut savoir que l'industrie chinoise doit intégrer dans ce système 12 à 13 millions de Chinois chaque année, ce qui génère des tensions internes très fortes. Il faut savoir que la Chine craint la théorie du chaos, à savoir que régulièrement ce pays passe d'une période faste à une période de dépression, puis à une période de guerre civile. Il faut savoir qu'il y a de très nombreuses émeutes en Chine, jusqu'à 200 par jour, et tout cela est tenu par le parti chinois. Il y a un contraste extrêmement fort en Chine entre la liberté économique et l'absence de liberté politique. C'est aussi un problème pour la Chine.
Quid de l'avenir de l'euro ?
Face à cela, vous comprenez que c'est une monnaie totalement inadaptée parce qu'il n'y a pas de zone économique optimale.
Vous avez d'une part un pur sang qui s'appelle l'Allemagne, un cheval de selle français qui se débrouille pas mal mais qui n'est pas au niveau du pur sang allemand, et puis vous avez la Grèce ou l'Espagne, que l'on peut comparer à un âne ou un cheval de trait et qui ne peuvent donc pas courir à la même vitesse… Alors que l'euro est tracté vers le haut par les exportations allemandes et sa dévaluation interne (l'Allemagne a dévalué en faisant transférer des taxes des entreprises vers les ménages), nous avons un problème majeur puisque l'euro va à sa perte.
L'Irlande prétend qu'elle ne demande rien à personne alors qu'elle a un déficit public qui atteint 30% de son PIB, un endettement énorme qui fait qu'elle est en banqueroute.
Le Portugal se retrouve aussi dans cette situation… De fil en aiguille, nous voyons bien que cette zone euro est à bout de souffle. Dans le même temps, l'Allemagne déclare qu'elle ne saurait payer pour tous ces Etats. Aujourd'hui, nous avons ce fameux fonds qui est installé au Luxembourg, avec le label AAA, mais qui bénéficie peut-être de 450 milliards sur le papier. Mais l'Allemagne refuse tout tirage automatique vers ce que les économistes appellent les «cochons» de la zone euro, à savoir le Portugal, l'Italie, la Grèce, l'Espagne et aujourd'hui l'Irlande…
Cela montre bien à quel point les financiers internationaux sont des cyniques. Donc ce fameux fonds n'est pas à la hauteur, sa mise en œuvre est laborieuse et personne ne sait ce qui va se passer pour le cas irlandais, le Portugal ou la Grèce…
La politique de déflation qui a été imposée par les Allemands aboutit à une catastrophe économique et, loin de réduire les déficits, ils s'accroissent. C'est ma crainte pour la France et je suis en désaccord avec le gouvernement, car je suis convaincu que c'est par la croissance que nous arriverons à réduire les déficits, mais pas en se serrant la ceinture à longueur de temps.
Certains de vos lecteurs vont me dire qu'il faut commencer par réduire la dépense pour obtenir la croissance… Mais ce que fait la Réserve fédérale américaine est totalement différent : elle vient d'injecter 700 milliards de dollars dans l'économie pour relancer la machine. De l'autre côté, vous avez une Banque centrale qui se refuse à faire des avances aux Etats parce que c'est interdit par Maastricht, mais qui rachète sur les marchés les dettes des bons du trésor des banques privées. Bien évidemment, ce circuit coûte cher…
Les Etats émettent des obligations du trésor, les banques qui ont des bons du trésor grec, dont elles savent pertinemment qu'elles ne seront jamais remboursées, les amènent à la Banque Centrale qui les rachète… Donc nous voyons bien que le système ne peut pas fonctionner de cette manière. Il faudrait monétiser la dette des Européens, c'est la seule manière pour sauver l’euro, mais je crains fort que cela ne passe pas. Donc, nous avons plusieurs problèmes : guerre monétaire au niveau mondial et problèmes au sein de la zone euro. Tout cela est en train de se percuter… Je ne sais pas où nous allons, mais cela risque de tanguer très fortement !
Ainsi, malgré les bonnes intentions que peut formuler le gouvernement sur l'ISF, le bouclier fiscal ou la réindustrialisation de la France, ce n'est pas le vrai débat : ce n'est pas cela qui va changer la situation de l'emploi en France…
Exactement, cela ne changera pas grand-chose. Nous avons un problème de zone euro, nous avons un problème de monétisation de la dette et des Etats qui sont complètement étranglés par la cherté de l'euro et le fait que la politique monétaire de la Banque Centrale ne peut pas servir chacune des économies nationales. C'est quelque chose que j'ai dit à plusieurs reprises à Jean-Claude Trichet : «Cette monnaie unique est une monnaie parfaite pour un monde parfait qui n'existe pas… La Grèce, ce n'est pas l'Allemagne, l'Allemagne ce n'est pas la France, la France ce n'est pas l'Italie et l'Italie ce n'est pas l'Espagne…» Donc c'était une escroquerie intellectuelle de vouloir créer une monnaie unique avec une seule politique monétaire sur des pays dont les économies divergent de manière continuelle. J'ai été l'un de ceux qui ont dénoncé cela avec force depuis plusieurs années.
Maintenant, nous sommes véritablement face à la réalité et la réalité rattrape toujours la fiction. On va payer tout cela très cher parce qu'il va y avoir des destructions d'emplois et cela va sans doute engendrer des désordres politiques en Europe et ailleurs.
Ce que vous avez martelé sur ce point depuis dix ans se vérifie aujourd'hui, malheureusement pour notre pays, or on ne peut pas sortir de l'euro en quelques mois... Alors, que faut-il faire ?
Nous avons une partie de poker menteur qui est en train de se jouer au niveau européen. Des esprits éclairés comprennent bien que le système ne peut pas fonctionner. Mais il y a une telle idéologie Europe = Euro…
On nous dit qu'il faut plus d'Europe, mais cela n'a rien à voir. Il faut surtout plus d'intelligence. Aujourd'hui, toute la classe politique française et européenne a été formatée dans cette idéologie utopiste. Vous ne pouvez pas sortir de cette utopie collective en l'espace de quelques mois.
La raison voudrait que l'on regarde les choses gentiment et que l'on fasse sortir les Etats un par un, avec un rééchelonnement de dettes derrière, pour éviter les catastrophes. Cela ne se produira pas de cette manière. Ce qui se produira, c'est qu'il aura un choc brutal avec des Etats qui diront que ce n'est plus possible, des manifestations dans la rue et on cassera tout… Je peux vous dire que cela risque d'arriver très vite.
Au lieu de prendre cela de manière rationnelle et avec sang-froid, on risque d'être acculé à un démantèlement qui va créer beaucoup de dégâts. Ce n'est pas la première fois qu'une monnaie unique se retrouve dépassée par la réalité et la partie de poker menteur va se jouer entre la France et l'Allemagne, au sein de la classe politique française aussi, mais je sais que beaucoup de gens s'interrogent.
Notamment des gens qui ont cru en l'euro, qui sont fortement ébranlés, et qui ne veulent pas l'avouer. Celui qui va avoir le courage de dire la vérité prendra un grand risque politique parce que, depuis des années, on nous a dit le contraire en nous expliquant que l'euro était véritablement notre avenir. C'est dramatique de cécité politique et d'escroquerie intellectuelle ! Nous avons un problème monétaire sérieux au niveau mondial. Il faudrait revenir à des monnaies communes, une unité de compte, l’écu comme étant la monnaie européenne de référence et de compte, et des monnaies nationales qui vont varier selon la force. Sinon, sous la pression des marchés, ce sera la panique.
Propos recueillis par Yannick Urrien