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Le blogue de Georges Bleuhay le poète de Méry-sur-Ourthe

UN AGENDA TRAGIQUE Samedi 5 janvier 2011

13 Février 2018 , Rédigé par Georges Bleuhay

Je n’ai pas dormi de la nuit à l’écoute de sa respiration. À certains moments, je me suis levé inquiet du divan pour m’approcher de son lit et m’assurer qu’elle vivait toujours. Sa respiration était faible, mais régulière et son visage détendu. La souffrance semble l’avoir quittée pour lui offrir un sommeil réparateur. Est-ce la fatigue accumulée ou un espoir chimérique, mais me revient à l’esprit le conte de la Belle au bois dormant. J’ai la folle impression qu’un chaste baiser pour me la rendre pour quelque temps encore. Et puis quand je regagne mon divan tourne en boucle la chanson d’Édith Piaf « Mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! Laissez-le-moi encore un peu mon amoureuse! Un jour, deux jours, huit jours, laissez-la-moi encore un peu, à moi ». Je ne suis plus moi-même, je navigue entre l’espoir que je sais vain et le désespoir de notre séparation inéluctable.

Vers huit heures, le téléphone sonne. C’est mon médecin qui m’appelle pour me dire qu’il venait juste de rentrer. Le temps de prendre une douche et il sera là. Dès son arrivée, il se rend au chevet de ma femme et me chuchote, comme pour ne pas la réveiller, qu’elle ne souffre pas, mais qu’elle est au bout du chemin.

Il vient s’asseoir à mes côtés dans le vieux divan défoncé et attend avec moi. De temps à autre, il se lève, se penche vers elle et reviens près de moi. La matinée se passe ainsi dans un silence assourdissant et aux environs de midi, c’est moi qui lui dit je crois qu’elle est morte ; qu’elle ne respire plus.
Il se lève, l’ausculte et me confirme qu’elle nous a quittés. 

Au secours ! je ne sais plus que faire, le monde s’effondre, ma raison n’existe plus. Je suis partagé entre une joie intense de la savoir délivrée de tous les tourments endurés et d’un chagrin, d’une détresse tellement profonde que je n’arrive plus à respirer. Heureusement ce médecin pour qui j’ai de la reconnaissance,me porte assistance en m’interrogeant si je sais ce que je dois faire. En vérité, je n’en sais rien, je suis comme un homme perdu dans le désert et incapable de réfléchir sur l’action à mener. 

Ce docteur, ce bon Samaritain qui, je le rappelle, ne travaille pas le samedi, téléphone pour moi à un entrepreneur de pompes funèbres ainsi qu’à l’infirmière pour venir procéder à la toilette mortuaire.

Une heure plus tard, c’est l’employé de l’entreprise qui vient prendre les mesures puis il me sort un catalogue de cercueils dont il feuillette les pages, me demandant mon avis comme s’agissait d’acheter un meuble. Complètement indécis, je prends un cercueil de prix moyen et il énumère une série que questions auxquelles je réponds tant bien que mal. Une croix sur le cercueil ? Non, elle n’était pas croyante. Voulez-vous la disposer dans un funérarium ? Oui. Que doit-on faire paraître dans la rubrique nécrologique ? Prévoyez-vous un lieu de réunion après l’enfouissement ? Que va-t-on y servir ? 

J’explose en disant que je ne veux rien de tout cela. Je veux rester seul, sans personne sauf mon pauvre chien qui ne sais quoi faire et se terre dans tous les coins. Je sens monter en moi la nausée me rappelant ce genre de réunion où après l’évocation de quelques souvenirs sur le défunt, l’on commence à parler de tout et de rien, de la famille ou des voisins. 

Quinze heures, le fourgon mortuaire est là. A la demande de l’infirmière, j’ai choisi dans l’armoire un petit chemisier blanc que j’adorais lui voir porter et une jupe foncée. Le cercueil entré dans la pièce, je me réfugie à la cuisine. La mise en bière faite(encore une expression atroce), l’employé me demande si il faut laisser le couvercle ouvert ou s’il faut le fermer. Je choisis la deuxième option. Il me demande alors voulez-vous la voir une dernière fois ? c’en est trop. Non, je ne saurais pas, cela m’est impossible, j’ai le cœur qui se déchire, j’ai l’estomac qui se noue et la tête qui explose.

C’est quand le fourgon s’en va que je reste là, plus mort que vivant, serrant contre moi avec force mon chien, son chien qu’elle avait tant aimé. J’ai brusquement l’impression d’être dans une caverne, car la maison est vide comme elle ne l’a jamais été et résonne au moindre bruit.

Ma vie est terminée, mais il faudra bien que j’aille après dix-sept heures au funérarium avec un portrait d’elle et des fleurs. Ainsi, je pourrai rester seul avec elle selon mes vœux. Les voisins ayant vu le fourgon funéraire sont venus aux nouvelles et m’ont demandé où elle reposait. Les visites seront le dimanche et le lundi après-midi. Je sais qu’ils viendront pleins de compassion, c’est tellement gentil et empathique, mais cela ne pourra rien changer à mon désespoir !

 

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